Antonin PERBOSC,
lnstituteur, poète et infatigable conteur de l‘occitanie

(1861-1944)

Texte de l’abbé Sylvain Toulze, , occitaniste, Bulletin de la Société des Études du Lot, tome CV, 4° trimestre 1984, pp. 319-328.

 

Il fut d’abord instituteur à Comberouger, un petit village à
30 km de Montauban, puis à Loze, près de Villefranche-de-Rouergue. Il avait inculqué à ses élèves l’intérêt pour les traditions et le patrimoine de leur région, et avait regroupé les plus passionnés en une “société traditionniste” (51 élèves, filles et garçons, entre 1900 et 1908).
Ces élèves recueillaient dans leur entourage le patrimoine oral : chansons, dictons et proverbes, légendes, contes… Ils notaient fidèlement, sans y rien changer, les récits en dialecte local. Les plus jeunes élèves, qui ne savaient pas encore écrire, contaient à leurs camarades plus âgés, qui écrivaient sous leur dictée (méthode très innovante). Le travail réalisé par Perbosc et ses écoliers suscita l’attention des savants folkloristes au Congrès des Traditions populaires de Paris en 1900. Les récits contés par les enfants ont été transcrits par Perbosc en notation phonétique, pour respecter leur accent et leur intonation. Ses publications sont actuellement introuvables.

Michèle Simonsen a publié dans Jean le Teigneux et autres contes populaires français, École des Loisirs, 1985, deux contes recueillis par des élèves d’Antonin Perbosc :

La Fille du Pellegrilleur (= le jardinier), conte de Gascogne recueilli en 1899 par Marguerite Delibes, écolière à Comberouger. Thème du “fiancé animal”, comme Le serpent, se doublant du thème “recherche de l’époux disparu” (type “Éros et Psyché” dans l’Âne d’Or d’Apulée, La Belle et la Bête etc)

La Nuit des Quatre-temps, conte du Rouergue, recueilli en 1900 par Gabriel Delrieu, écolier à Loze. Intéressant par son mélange de motifs réalistes, fantastiques, facétieux. À rapprocher des contes de loups et de meneurs de loups.

CONTES DE LA VALLEE
DE LA GONNETTE
Recueillis par des élèves des écoles de Loze sous la direction de M. Jean Hinard
Traduits par M. Antonin Perbosc

LO DRAC

Autres cops, -dabons que se sounès l’angèlus,- lou Drac se metio en formo de bèstio, quouro un cat, quouro uno cabalo, qouro un moutou, que l’on troubabo pe’s camisses.

Un joun, i abio vint e dous drolles qu’anabou al catatrime. Aqui qu’al cap d’un prat troubèrou uno poulido cabaleto aimablo e doumèjo que qual sab, taloment qu’un dièt :

– I cal mounta sus l’esquino.

E i mountèt. Aprèp aquel un autre, apèi un autre…

L’esquino de la cabalo s’estirèt tont e tont que vint e un i mountèrou.

Lou darrier dièt, en levent la combo :

– Quond moun paire monto à chabal, se senho.

E, en dient aco, se senhèt.

La cabalasso anabo cap al riu, per i nega toutes aquelses paures mainages ; mès al sinne de la crouts s’avalièt, en dient :

Se NOMINE PARIS nou fous,

Ne negabi vint e dous


Antonin PERBOSC est un paysan du Quercy : il en a la tête, grave, burinée, expressive, en harmonie avec le paysage natal, comme ses compatriotes Bourdelle, Jean Calvet, Bayrou, Cayrou.

Je le vis pour la dernière fois le 2 mai 1939, où je lui rendais visite en compagnie de son premier disciple, mon maître, l’abbé Jules Cubaynes.

Antonin Perbosc naquit en 1861, à Labarthe (Tarn-et-Garonne), entre Cahors et Montauban, à la jonction des deux Quercy, pays tourmenté, mais de relief
modéré :

« Le Quercy, tout plaines et monts, combes et coteaux,
Lo Carsin, tot planòls, tucs, combas e costals. » (1)

Ses parents étaient des bordièrs, des fermiers, illettrés. Il eut pour premier maîtres, il le dit lui-même,

« Mes aïeux qui ont tenu la charrue et la bêche,
Mos rèires qu’an tengut lo dental e la gòbia. » (2)  

Ou encore un bon valet de ferme, le

«…Cadet de Sicardon,
– de son nom officiel bien nommé Cantemerle, –
… qui me contait dans les champs
tout ce qu’on apprend à l’école des paysans.
… Catèt de Sicardon,
– per son nom de papièrs plan nomat Cantamèrle, –
… que me dizia pels camps
tot sò que sola apren l’escòta dels pacans. » (3)

Ses maitres ? Avant tous autres, sa mère, son aïeule et toute la belle vie d’un enfant de la campagne en ce temps-là :

« … J’étais allé en classe
sur les genoux de ma mère et de mon arrière-grand-mère,
Dans les haies, dans les prés et sur les ruisseaux qui chantent ;
Je savais les vieux contes que disent les anciens…
Et les usages antiques qui sont comme la fleur
Parfumée du passé de notre terroir…
… Eri anat à l’escòla
Sul faudat de ma maire e de ma rèire-aujòla,
Per las lisas, pels prats e pels rius cascalhants ;
Sabiai los contes vièls que dison los ancians…
E los uses antics que son coma la flor
Nolenta del passat de nòstra terrador… » (4)

Ses maîtres enfin, I’école qui fut pour lui comme une aurore qui se lève! Etudes primaires supérieures, Ecole normale. Il sera instituteur dans plusieurs villages du montalbanais, Labastide-de-Penne, Arnac-sur-Seye, Lacapelle-Livron, Laguépie, Comberouger, Lavilledieu-du-Temple, avant de devenir, en 1914, bibliothécaire de la Ville de Montauban. Dans chaque poste il approfondit sa connais­sance de la langue d’oc et recueille les contes populaires.

De très bonne heure il a découvert la richesse de ce « patois » qu’on méprise à Montauban encore plus qu’à Paris, cette langue dans laquelle il a appris à parler. Une livre de Castelà, meunier-poète, Mos Farinals, lui ouvrira l’esprit à cette belle aventure qui remplira toute sa vie :

« … Cette fine poussière (de farine)
Fleurit à son heure et me fit chanter.
… Aqueta fina posca
Florisquèt à son ora e me fasquèt cantar. » (5)

Mainte vocation d’homme sera née ainsi d’une heureuse rencontre.

D’après Occitan poetry  980-2006,
Joan-Frederic Brun

 

 

Au cours d’une vie toute simple Perbosc va accomplir une œuvre considérable. Quelques dates plus importantes ?
En 1892 il est aux côtés de Xavier de Ricard et d’Auguste Fourès à la fon­dation de l‘Escolo moundino. Cette même année il devient félibre majoral avec la Cigale de la Liberté tenue auparavant par ce même Auguste Fourès, un rouge du Midi, s’il en fût.
Elu maître ès Jeux Floraux de Toulouse en 1908, il participe à la fondation de l’Escôla Occitana à Avignonnet en 1919.
Cette école qui avait pour but, la première, on l’oublie trop souvent, de restaurer et de mettre en honneur l’écriture historique de la langue.
Il en deviendra Capiscòl (président) de 1939 à sa mort survenue à Montauban le 6 août 1944.

 

 

 

 

 

 

 

Pourquoi Perbosc a-t-il écrit ? Par besoin profond, comme tous les poètes, sans doute ! Mais pourquoi des vers en occitan ? Pour restaurer sa langue maternelle, comme Mistral lui-même :

« Je veux qu’en gloire elle soit élevée
Comme une reine…
Vole qu’en glòri fugue aussado
Coume uno rèino..». (6)

Il voulut aussi la fixer dans ses œuvres en illustrant son dia­lecte quercinois, qui doit bien être l’un des plus riches de la langue d’oc avec le Rouergat. Perbosc, Cubaynes, Cayrou, Mouly, Boudou et quelques autres qui avaient appris la langue du peuple occitan avant qu’il ne s’enlise dans l’inculture de notre temps, I’auront « enregistrée » dans leurs livres. Si Dieu le veut, les générations futures iront l’y chercher pour quelque renaissance.

Peu d’hommes auront mieux connu et écrit le languedocien. Tra­vailleur de toute une vie, comme un laboureur qui retourne sa terre chaque année ! Sur son lit de mort il traduisait encore La Fontaine. Infatigable chercheur, à l’affût des vocables, dont Roger Barthe a pu dire :

« … Il trouva les vocables perdus
Non seulement dans les parchemins muets,
Mais surtout dans la bouche du peuple…
…Trobèt los vocabtes perduts
Non solament dins los pergamins muds,
Mas subretot dins la boca del pòple… » (7)

Cubaynes et Mouly ont témoigné de cette curiosité insatiable, de cette humilité du chercheur; combien de fois ne leur a-t-il pas dit: « Cossi disètz aquò ? Ieu disi atal ! Comment dites-vous cela ? Moi, je dis ainsi ! ».

De là vient la grand richesse de sa langue et ce que j’appelle­rai son authenticité ; il ne crée certes pas de mots, il les « invente », en allant les prendre là où ils se cachent, dans la mémoire pro­fonde du peuple.

Mais avec la langue d’oc et par elle, il veut aussi « élever en gloire » la patrie occitane :

« Des Races endormies
les Poètes sont les Coqs ;
dans les ténèbres de la mort,
seuls ils songent aux renaissances.
De las Rasas endormidas
los Trobaires son los Pols ;
dins la trumor de mòrt, sols,
soscan à las respelidus. » (8).

Son œuvre n’est certes pas « gratuite ». Si, comme tout poète, il chante aussi
« pour enchanter son cœur », cet artiste incompa­rable ne sera jamais un tenant de l’art pour l’art ; il garde toujours la volonté de rendre à l’Occitanie le rang qu’elle a perdu au cours de l’histoire :

« Nous sommes les hardis laboureurs qui avons planté le soc
dans les sillons des ancêtres : viendra la moisson.
Les champs sont palpitants d’une éclosion neuve.
Aide-nous, ô soleil ! notre race se relève.
Sèm los africs boièrs qu’asocam nòstra relha
dins los bordons reirals: vendra la segazon.
Los camps son bategants de nòva espelizon.
Adjuda-nos, solel ! nòtra rasa regrelha. (9) »

Son œuvre poétique parut d’abord dans de nombreuses revues félibréennes ou autres, ou même dans des journaux, comme nous en avertit la Préface de La Debanadora, qui « s’es dabanada sema­nièrament dins un jornal de Toloza, Le Travail, s’est dévidée heb­domadairement dans un journal de Toulouse, Le Travail. » Il en réunira les poèmes en volumes assez tard, après 1900, « au milieu du chemin de la vie », il le dit, après Dante, dans Remenbrança :

« Maintenant que j’ai atteint le sommet du mont
qui a mon berceau à droite et à gauche ma tombe,
Ara que soi montat sus l’acrin de la sèrra
qu’a monn brèç a sa drecha e mon cros à l’esquèrra. » (10)

On peut diviser cette œuvre en deux parties différentes pour la forme comme pour le fond. Avant 1910 :

1902 : Remembransa (Remembrance) ;
1903 : Lo Got Occitan (La Coupe Occitane) ;
1906 : L’Arada (L’Arée) ;
1908 : Guilhèm de Toloza (Guillaume de Toulouse).

Après 1910 :

1923 : Las Cansons del Pòple (Les Chansons du Peuple) ;
1924 : La Debanadora (Le Dévidoir) ;
1924 : Lo Libre dels Auzèls (Le Livre des Oiseaux) ;
1925 : Psophos ;
1930 : Lo segond Libre dels Auzèls (Le second Livre des Oiseaux) ;
1936 : Fablèls et Fablèls calhòls (Fabliaux et Fabliaux gaulois).

Paru en œuvre posthume en 1970, Lo Libre det Campèstre (La Livre de la Nature) regroupe des poésies insérées dans des revues ou même imprimées, mais épuisées.

Perbosc a publié des chartes de communes, de très nombreux contes
populaires : par exemple Les « Contes populaires de la Vallée de la Bonnette recueillis par des élèves des écoles de Loze sous la direction de M. Jean Hiriard, traduits par Antonin Perbosc… » Il donne aussi quelques préfaces. Au reste il n’écrit pas volontiers en prose :

« Donne-moi l’horreur des vaines proses, dit-il au vin !
Fai m’orrir las vanas pròzas ! » (11)

Lo Gòt Occitan sera son premier ouvrage. Ce beau livre, qui garde la forme classique: strophes, odes, sonnets, discours, le fera traiter de parnassien par quelques ignorants qui prennent le déver­gondage poétique pour la première condition de l’inspiration vraie. La métrique de Perbosc demeurera toujours d’une perfection rare, mais cela apparaît davantage dans Lo Gòt Occitan.

Le dernier vers du recueil résume dans un beau raccourci l’objet du livre :

« Où j’exalte mon terroir en arborant ma Coupe.
Ont lauzi mon Terraire en arborant mon Gòt. » (12)

Le sujet ? Deux désastres : le phylloxera a tué la vigne ; la Croisade a tué la civilisation d’oc. Il faut les restaurer. Ce double propos renferme toute l’œuvre de Perbosc. Après Mistral et avec ses disciples il aura pour but premier de rendre vie à l’Occitanie.

Dans le Gòt s’épanouit déjà toute la virtuosité de l’artiste : à côté de vers de haut vol, des strophes légères, exemptes, oh ! combien ! de toute raideur parnassienne, souvent teintées d’ironie et d’humour, avec une grande variété de rythmes, une souplesse de la démarche poétique qu’on ne trouve à ce degré dans la littérature d’oc que chez Mistral.

Faut-il avouer cependant que cette œuvre date un peu, et c’est normal, dans la carrière de Perbosc ? Dans la manière ? Telle forme métrique remonte à La Pléiade ! Et pourquoi pas après tout si cela fait de la belle poésie ? Pour les thèmes exploités ? Si la vigne a vaincu l’abominable Bête, I’Occitanie se meurt, comme tout ce que nous avons aimé ; les procédés de culture et les modes de vie évoqués ont tellement changé depuis un siècle !

Les poètes au demeurant sont les prophètes de l’espérance. Dans un magnifique morceau, Lo Gòt de l’Avenir (La Coupe de l’Avenir), notre aède chante.

« Le vin de la Coupe fraternelle où les hommes boiront,
Lo vin del Gòt frairal ont los ômes beuran. » (13).

Après les massacres de 1914-18, il veut croire, lui aussi, à des lendemains de paix universelle. Hélas ! Et nous songeons à Plein Ciel de Victor Hugo, à La Marseillaise de la Paix de Lamartine. Beaux espoirs que doivent garder
les poètes !

Lo Gòt de l’Avenir est l’une des quelques pièces de vers que l’auteur ajoutera dans la réédition de 1932, avec Lo Fin Vailet (Le Fin Valet), La Vinha de S’abiai sachut (La Vigne de Si j’avais su). Il parvient ici à la plénitude de son talent : l’humour du paysan quercinois, la légèreté de touche, la souplesse du vers, l’aisance souveraine, une manière proprement inimitable ! Comme La Fontaine !

Les douze sonnets de L’Arada, parus en 1906, sont de la veine du Gòt : haut lyrisme, style dépouillé, forme stricte. Ils feraient la gloire d’un moindre poète. Il en va de même de quelques autres pièces, comme Guilhèm de Toloza, beau fragment épique qui voit le jour en 1908. Ici cependant le maître adopte une façon qu’utili­sera beaucoup son disciple, Jules Cubaynes : un large souffle em­porte les vers qui enjambent l’un sur l’autre et s’avancent comme des vagues harmonieuses dans l’enchaînement des idées et des images.

Après Las Cansons del Pòple (1923), La Debanadora en 1924 et Psophos en 1925 marquent une date importante dans l’œuvre de Perbosc ; ils constituent comme une charnière, un tournant. Pso­phos, dont l’inspiration ne se hausse pas très haut (et voilà pour­quoi l’auteur l’a dissimulée sous un mot grec !) aboutira à Fablèls et Fablèls calhols qui sont bien une sorte de chef d’œuvre. La Debanadora ouvre la série des contes qui rempliront les Livres des Oiseaux. Le lyrique devient conteur et Perbosc est d’abord cela. Dans ce domaine aucun autre ne l’égale… sauf La Fontaine.

Ces contes, il les a entendus à Labarthe ou ailleurs, à la veillée, sur les lèvres de filandièras escardussadas, de fileuses bien éveillées, de la bouche du Cadet de Sicardon, parmi les pâtres, les laboureurs, demèst los pastres, los lauraires. Mais il a aussi pratiqué les livres, beaucoup de livres ! Surtout les Fabliaux, dont il donne la référence dans les siens. Il les a, non pas traduits, mais librement adaptés, en y mêlant à l’occasion des passages analogues des contes d’Occitanie. Gardant ce qui lui plaisait, ajoutant ce qui s’est perdu dans les littératures, mais était demeuré bien vivant dans la mémoire du peuple. Perbosc, comme tous les grands poètes, comme tous les conteurs, fait sienne des œuvres préexistantes qu’il recrée à son génie.

La Fontaine, inimitable dans les Fables est moins heureux dans ses Contes. Divertissements que se passaient sous le manteau des littérateurs souvent un peu égrillards ou des marquis allant sur l’âge. Perbosc a une autre santé et une autre saveur. S’il écrit, et avec quel art consommé ! des contes en vers, on dirait qu’ils sortent de la bouche d’un homme de la terre occitane… Oh ! bien sûr, et il le dit quelque part, « Vous pensez bien que ce livre n’est pas pour les petites filles dont on coupe le pain en tartines. » Les curés y sont quelque peu mis à mal dans la bonne tradition de notre peuple. Ce n’est pas méchant. Nous avons affaire ici à de la bonne et saine gauloiserie qui n’a pas encore été pourrie par les disci­ples énervés du misérable Marquis. La langue et la métrique sont proprement admirables dans un octosyllabe où Perbosc surclasse nettement Marot.

La Debanadora est moins « haulte en gresse » et tout le monde peut la lire. Ce livre délicieux m’introduisit à Perbosc il y a quelques soixante ans. Il s’agit là de risèias, de galejadas, plaisanteries, galéjades, parfaitement dites et mises en valeur par l’art du poète, qui expriment une sagesse souriante dans une forme popu­laire et savante à la fois.

Dans La Debanadora Perbosc faisait des gammes ; il préparait la symphonie. Avec Le livre des Oiseaux il va devenir lui-même lo lausetaire, I’oiseleur de notre littérature, comme l’a si bien défini Arthur Roussilhes. Il atteint ici, dirions-nous aujourd’hui, « sa vitesse de croisière ». Paul-Louis Grenier, un autre félibre de grande classe, résume tout d’un vers :

« Tu es un chêne plein d’oiseaux !
Setz un chassanh ple d’auzels ! » (14)

Sa versification devient aussi souple que celle du grand La Fontaine, avec un sourire d’humanité et de sensibilité que devait voiler le contemporain de Boileau. Jusqu’aux rimes qui changent ! Les rimes dures (parnassiennes ?) font place à des sonorités en sourdine ; des diphtongues s’épanouissent au bout des vers.

Le sujet ? Les oiseaux bien sûr, qu’il fait vivre, parler et chanter devant nous. Des oiseaux plus vrais que ceux du fabuliste, encore qu’ils deviennent aussi très humains dans leur comportement. Mais il faut ici de nouveau citer le regretté Arthur Roussilhes: « Tout ce peuple (des oiseaux), un oiseleur… I’a pris au petit miroir de la poésie et, sans lui diminuer en rien la liberté – c’est là le miracle – il l’a enfermé pour toujours dans un livre, Livre des Oiseaux… Il ne leur a pas attaché un fil à la patte pour les proté­ger du vice et les tirer vers la vertu : ce n’est pas un fabricateur de morale… Chaque oiseau, du coucou au rossignol, a son rythme. Il y a des poètes qui ressemblent au coucou : ils chantent tout sur le même air. Perbosc ressemble au rossignol : il varie son chant de multiples façons. Il largue les vers tantôt par strophes de quatre, tantôt de huit ou de dix, ou même en troupe. Il mêle les vers brefs et les longs et tous sonnent bien, surtout les octosyllabes et les alexandrins… » Mais voici le texte; un brin long, il en vaut la peine ! « Tot aquel pople, un lauzetaire… l’a pres al miralhet de la poesia e, sens i demezir la libertat – es aqui lo miracle -, l’a enclaus per sempre dins un libre, Lo Libre dels Auzèls Lor a pas estacat un fial à la pata per los gandir del vici e los estirar cap à la vertut : es pas un fargaire de morala… Cada auzèl, del cocut al rossinhòl, a son ritme. I a dels trobaires que semblan lo cocut : cantan tot sul mème aire. Perbosc sembla lo rossinhôl : plèga de mila biais sa muzica. Delarga los vèrses quora per quatre, quora per uèit o dètz, e quora en tropelada. Fa vezi­nejar los pichôts ambe los bèlses, e plan s’endevènon, mai-que-mai los qu’an uèit sillabas amb los que n’an dotze… » (15) Qui disait que les poètes ne savent pas parler des poètes ?

Des vers de Perbosc, lo lauzetaire, on voudrait en citer longtemps. La reine des huppes :

« Elle était infatuée d’elle-même à éclater dans sa peau!
S’encrezia dins sa tufa à petar dins sa pèl ! » (16)

Le loriot :

« Que cet oiseau au bois module de jolis airs!
Il a l’air de parler en dialecte de Cahors…
Qu’aquel auzèl at bôsc polidament clarina !
A l’aire de parlar en parladis de Côus… » (17)

Un pauvre innocent qui court la campagne « en recherche » de fuseaux et qui rapporte des fifres :

« Tous les oiseaux des champs riaient de ce niais,
Tot t’auzelum dels camps rizia d’aquel toleda! » (18)

Et pour finir un trait qui fera plaisir aux chasseurs :

« C’est l’heurs où le soleil descend.
L’ombre court sur le penchant des collines
comme une troupe de perdeaux.
Es l’ora ont to sotet davala…
L’ombra derrata pels penjals
Coma un ramat de perdigals. » (19)

Que ne pouvons-nous lire ensemble Lo Reiet e Ibèrn (Le Roi­telet et l’Hiver) où le plus petit de nos oiseaux dit si bien tout l’amour du monde ? La Font dels Colombs (La Fontaine des Colom­bes) où le poète évoque avec une grande pudeur le temps de ses fiançailles à Labastide-de-Penne, lo temps que se parlavan ! C’est tellement beau que deux de ses disciples allèrent la chercher, cette petite fontaine, dans un pèlerinage poétique…

Le Second Livre des Oiseaux doit bien être le chef-d’œuvre de notre félibre quercinois. Il renferme tout Perbosc. Avec la vie des oiseaux, nous pouvons suivre ici l’évolution de sa manière ; des contes simples et « faciles », d’un réalisme saisissant et tendre ; un art poétique avec Lo Rossinhòl, Le Rossignol, conte adapté d’Andersen. Nous retrouvons le lyrisme du Gòt, mais dans une forme combien plus aisée et plus libre, bien que toujours classique.

Perbosc et Cubaynes sont des poètes « sérieux ». Ils ne se moquent pas du lecteur, sous prétexte d’inspiration déchaînée ou de je ne sais quelle écriture automatique. Pour ces probes écri­vains, trobar lèu, trobar ric o trobar clus, la poésie légère, riche ou hermétique reste le chant de la splendeur du vrai. Ils n’atomisent pas la langue et la métrique. La liberté de leur art fleurit avec la maîtrise du beau. Perbosc apprécierait sans doute assez peu la manière de certains de ceux qui se réclament de lui… depuis que sa plume et sa voix se sont tues.

Dans les Livres des Oiseaux enfin affleure la philosophie de celui qui fut bien le poète le plus discret sur sa personne et sur sa vie. Sera-ce le pessimisme du Cant del Chòc, Le Chant du Hibou ? On a peine à le croire. Le vrai Perbosc ne s’exprime-t-il pas plutôt dans la sereine mélancolie d’A mèja-sèrra, A mi-hauteur de la montagne ?

Finalement c’est l’attrait, la quête de la lumière qui domine toute l’œuvre du maître. Il en a la hantise. Un de ses plus beaux poèmes a pour titre Lo Laus del Solelh, Hymne au Soleil. Il dit avec l’Alouette :

« J’ai un cœur qui est avide de clarté et d’espace,
Ai un  còr qu’es cobés de claror e d’espandi. » (20)

Enfin dans L’Aparelbatge (L’Apareillage), il souhaite de mourir.

« contemplant, comme tu le fais dans la vie,
La Lumière…
Et tu fermeras tes yeux aux baisers du soleil.
agachant, coma fas dins la vida,
Lo Lum…
E clucaràs tos uèlhs als potets del solelh. » (21).

Puisse-t-il avoir retrouvé là-haut l’autre Soleil, celui de la Lumière incréée !

Antonin Perbosc aura sans doute une place de plus en plus importante dans la  littérature d’oc : il lui suffira d’être davantage connu. Pour nous quercinois, il est le père et le maître, après Mistral ; son disciple, Jules Cubaynes a dit justement :

« Ainsi, Perbosc, ta gloire durable sera d’être
le Chanteur de notre Race et le Troubadour
qui dans un parler choisi avec tant de sagesse et d’amour
nous a mis Le Quercy par écrit !  – Merci, Maître !
Atal, Perbosc, ta glòria al tengut serà d’èstre
lo Cantador de nòstra Rasa e l’Trobador
qu’en un parlar cauzit amb tant d’èime a d’amor
nos as mes lo Carsi per escrich ! – Mercés, Mèstre. » (22)

Sylvain TOULZE.

NOTES :

1. Lo Gòt Occitan, Toulouse, E. Privat, 1932, p. 94.
2. Lo Gòt Occitan, Toulouse, E. Privat, 1932, p. 31.
3. Remembransa, Toloza, Bibliotèca occitana de « Montsegur >, 1902.
4. Remembransa, Cité dans la Préface de La Debanadora, par Paul Rolland,
« OC » Aux éditions du Travail, Toulouse, 1924.
5. Remembransa, Toloza, Bibliotèca occitana de « Montsegur», 1902.
6. F. Mistral, Mirèio, Cant. I.
7. Lo Gai Saber, n° 214, Junh-Decembre 1945, p. 206.
8. Lo Libre dels Auzèls, Editions « Occitania », Toulouse et Paris, MCMXXIV, p. 193.
9. Lo Gòt Occitan, op. cit., p. 194.
10. Remenbrança, In Lo Libre del Campéstre, Nimés, I.E.O., 1970, p. 11.
11. Lo Gòt Occcitan, op. cit., p. 6.
12. Lo Gòt Occitan, op. cit., p. 310.
13. Lo Gòt Occitan, op. cit., p. 241.
14. Lo Gai Saber, op. cit., p. 198.
15. Lo Gai Saber, op. cit., pp. 171-173-174.
16. Lo Libre dels Auzèls, op. cit., p. 47.
17. Lo Segond Libre dels Auzèls, Toulouse et Paris, Editions Occitania, MCMXXX,
p. 23.
18. Lo Segond Libre dels Auzèls, op. cit., p. 121.
19. Lo Libre dels Auzèls op. cit. p. 27.
20. Lo Segond Libre dels Auzèls, op. cit., p. 13.21. Lo Libre del Campèstre,
op. cit., p13.
22. Lo Gai Saber, op. cit., p. 197.