Errare Humanum Est. De la fiabilité très relative des registres paroissiaux de l’Ancien Régime par Paulette AUPOIX, Membre de l’ARHFA et de la Société des Études du Lot
Publié dans : Bulletin de la Société des Etudes du Lot, Tome CXIX, 3e fascicule 1998,  juillet-septembre.

 

La généalogie est à la mode et comme dans toute science il y a ceux que l’expérience a rendu méfiants sur l’exactitude des registres antérieurs à la Révolution et ceux qui, les considérant comme parole d’évangile, se heurtent à des lacunes ou à des incohérences qui les désespèrent ou du moins les laissent perplexes.

Une première lecture de l’état civil de Payrac m’avait fait pressentir des erreurs, son dépouillement avec mise en fiche des familles a justifié cette impression. Comme on n’a au 17ème que les actes de naissance, et encore avec beaucoup de lacunes, je n’ai pris en compte que le 18ème qui commence en 1716 mais a l’avantage à partir de 1721 de posséder les deux séries : 4E et AC aux Archives Départementales de Cahors. Je précise aussi que je n’ai tiré de conclusions que pour les familles résidant à Payrac depuis un certain temps, familles bien localisées, en laissant de côté, du moins dans mes calculs, des brassiers ou des domestiques de passage qui semblent avoir été assez nombreux dans les familles bourgeoises et les auberges ou relais sur la route de Paris à Toulouse comme on la nomme alors. Enfin Payrac n’est pas desservi alors par de pauvres curés de campagne mais par des prêtres issus de la bourgeoisie ou de la noblesse et qui écrivent fort bien.

Or à partir de 1721 on peut constater :

1) Les deux registres ne concordent pas.

En effet dans le registre AC ne figurent pas 59 actes portés en 4E, tantôt il manque un acte isolé, tantôt, sans qu’il manque de page le registre enchaîne directement
du 21 Mars au 19 Octobre 1729 = 28 actes
du 26 Novembre 1732 au 21 Mars 1733 = 13 actes.

De même sans qu’il manque de page il n’y a rien en Juillet 1733 dans aucun des deux registres,
rien du 23 Octobre au 2 Décembre 1738,
rien du 25 Juin au 2 Août 1749,
rien du 13 Avril au 2 Juin 1778 ce qui, à voir les autres années, paraît impossible.

La situation est pire dans le registre 4E où il manque 147 actes qui figurent en AC. Là aussi :
rien du 3 mai au 29 Juin et du 30 Septembre au 24 Décembre 1741
rien du 14 Novembre 1747 au 29 Mai 1749

ceci n’a pas été décompté dans les 147 actes manquants car il se peut que ce soit des feuilles perdues. ll est donc certain que selon le registre consulté on peut ou non trouver un acte. ll n’y a qu’à suivre le conseil donné par le curé Bessac qui écrit tranquillement, en 1725 à la fin du registre AC : “Voyez le suivant registre où vous trouverez ce qui manque ici.”

Il faudrait ajouter que, si comme il arrive ailleurs il manque les décès d’enfants, à partir de 1737 on possède les registres du notaire Camy qui enregistre les testaments. Dans quelques cas le malade fait son testament chez lui, ce testament est cancellé peu après mais on ne trouve pas trace du décès sur les registres ; or on voit mal où iraient mourir des laboureurs de Payrac si ce n’est chez eux.

2) Et quand le même acte se trouve dans les deux registres il arrive que la rédaction ne soit pas la même.

Le prénom du père et surtout celui de la mère change, de même pour les parrains et marraines et pour leurs liens de parenté avec l’enfant. On sait qu’alors il y avait souvent du flottement dans les prénoms.

C’est déjà plus grave lorsqu’il s’agit du nom de famille. Cela se produit deux fois pour le père et six fois pour la mère ; le nom du conjoint permet de s’y retrouver, mais il restera un cas insoluble : celui de l’enfant d’une fille-mère dont le nom est différent dans les deux registres ; de plus les parrains et marraines ont été choisis dans des familles aisées qui pouvaient apporter un secours à l’enfant et n’ont avec sa mère aucune parenté connue.

Il y a aussi parfois des différences étonnantes : en 1753 Marguerite Courtiol meurt à la même date dans les deux registres dont les textes sont alors très lisibles. Seulement elle a 32 ans en AC et 72 en 4E, comme la naissance de son dernier enfant date de 1700 on peut penser que le deuxième âge est le bon.

3) Il arrive bien plus souvent que les deux registres soient en accord dans leurs incohérences.

En 1767 le même décès, avec le même âge est enregistré et le 18 Juillet et le 30 Septembre. La même année, le même couple a un enfant le 29 Mars puis le 18 Juillet, les parrain et marraine sont identiques mais l’enfant s’appelle une fois Françoise comme sa marraine, une fois Pierre comme son parrain. Comme il meurt à l’âge de 11 ans on sait que c’était Françoise la bonne réponse.

Même cas en 1768 Michel le 27 Mars, Gabrielle-Jeanne le 29 Mai. Le départ de la famille dix ans après à cause du décès du père empêche toute conclusion.

De semblable façon une fillette née en 1749 et prénommée Marguerite meurt peu après sous le prénom de Françoise. Ces décès d’enfants ne changent rien à une généalogie.

Plus ennuyeux, par contre est un François Cassaignes, bien marqué fils de … né en 1760 et qui se marie à 27 ans en 1787 mais sous le prénom de Françoise, fille des mêmes parents ce qui élimine toute possibilité de confusion.

De même dans les deux registres le notaire Camy marie sa fille en 1732 avec le bourgeois Pierre Dissac ; il y a un premier acte de mariage le 25 Février et tous ceux qui signent sont des parents ou des personnalités du lieu ; seulement le même mariage se retrouve le 9 Mai avec comme témoins de modestes travailleurs qui ne savent pas signer. Qui s’est marié ce jour là ? Le mystère demeure entier.

Autre obstacle pour les généalogistes est le changement du nom du père ou de la mère. J’en ai repéré 25 cas certains mais il doit y en avoir beaucoup plus. Cette erreur concerne d’ailleurs le plus souvent le nom de la mère. Tantôt on comprend que le nom a été mal entendu : Denis pour Janis, Boudarie pour Bouyssarie, tantôt on ne trouve aucune explication. Enfin dans 34 cas au moins c’est le nom de la grand-mère ou même de l’arrière grand-mère qui a été mis à la place de celui de la mère de l’enfant. Le record en la matière est battu par une famille du hameau de Serres : en 1718 un Pierre Constans est l’époux de Jeanne Delteil dont la famille est là au moins depuis le début du 17ème siècle et qui possède la maison ; sa fille Françoise Constans épouse en 1741 Pierre Lacombe et sur leurs 7 enfants il semble qu’il ne reste que deux filles. La plus jeune Louise épouse en 1775 Guillaume Laval et garde la maison. L’acte de mariage est bien rédigé mais sur les sept actes de naissance de ses enfants, cinq fois Louise Lacombe est appelée Louise Delteil du nom de sa grand-mère ; et ce qu’il y a de plus remarquable c’est que les parrains bourgeois ou praticiens ont tous signé ces actes, avec des signatures parfois fort élégantes, sans les lire et les faire rectifier.

Je laisse de côté les cas où le prénom du père ou de la mère a été modifié : il y en aurait trop et on arrive en général avec les autres actes concernant cette famille à s’y retrouver. Cela devient plus difficile dans les vingt actes où il n’y a que le prénom de la mère car il arrive qu’il y ait plusieurs solutions possibles. Par contre je n’ai trouvé qu’un seul acte où il manque le nom de famille pour le père et pour l’enfant.

Les femmes d’ailleurs ne sont pas favorisées. S’il y a naissance d’enfant naturel le curé le signale bien et souvent avec des commentaires que l’on jugerait maintenant superflus ce qui ne l’empêche pas par deux fois d’omettre le nom du père, que l’on peut d’ailleurs restituer facilement, mais il y a quatre cas d’enfants sans mère ce qui est pour le moins original.

Et surtout si on trouve deux actes de décès d’hommes avec leur seul prénom indiqué cela concerne des gens étrangers à Payrac plus ou moins marginaux, alors qu’il y a 16 actes de décès de femmes avec leur seul prénom, on ne peut donc identifier que celles pour lesquelles est indiqué le nom du mari.

Dernier problème enfin pour un généalogiste,

Dans au moins 24 actes le nom de famille est remplacé par un surnom. ll faut alors disposer d’autres actes pour voir de qui il s’agit, même si certains de ces surnoms sont charmants : Marguerite de la Feuillade, en fait Marguerite Lapeyre née à la Feuillade, ou Marguerite du Cardayre pour Marguerite Boy fille d’un tisserand. Le plus réussi dans ce domaine est l’acte de mariage du 19 Février 1730, acte de mariage de “Abraham Guillou travailleur fils de Barthélémy aussi travailleur et de feue Jeanne Fabré avec Marie Caussil” acte qu’il faut lire ainsi : “Abraham Barthélémy dit Guillou fils de Guillaume Barthélémy…” Ce pauvre Abraham Barthélémy devait en outre mourir le 11 Novembre 1731 laissant une fille de quelques mois (si elle a vécu) sous le nom d’Abraham Berthouloumieux.

Beaucoup de ces erreurs tiennent sans doute au fait que les registres sont rédigés avec du retard. Les actes d’août à octobre 1735 sont reportés après février 1736 parce que, écrit le curé “le baptistère ne s’est écrit qu’environ 4 mois après.” Puis, avoue-t-il au 2 septembre, “le registre ne se trouva pas”. En janvier 1737 même déplacement d’actes “parce qu’il n’y avait pas de registre”. Pour être honnête c’est le curé Martial de Cardaillac qui se montre le plus sérieux à ceci près que durant les premières années il cesse d’enregistrer les décès d’enfants à la différence de son prédécesseur Jean Denucé. C’est de 1724 à 1755 avec le curé Pierre Bessac que l’on trouve le plus d’actes erronés ou fantaisistes. Ne lui en voulons pas trop ; son testament olographe qui a été conservé par le notaire Camy montre que s’il sut bien administrer sa fortune il se montra très soucieux de ses fidèles après sa mort et fit preuve de beaucoup de générosité à leur égard. Quant à Jean Denucé il devait lui aussi rédiger ses actes avec du retard mais comme vers 1767 il y avait beaucoup plus de gens qui auraient signé il avait imaginé une formule “non signés pour être trop tôt partis”. De 1768 à 1771 il l’utilise 12 fois, mais après une pointe de 18 fois en 1774-1775 il a dû se faire rappeler à l’ordre car elle n’apparaît plus que rarement.

Que conclure de tout ceci ?

Qu’il faut que le généalogiste cultive les trois vertus théologales : foi et espérance pour lui et charité à l’égard de ces pauvres prêtres qui ne pouvaient penser que les descendants de leurs ouailles allaient, quelques siècles plus tard, disséquer leurs registres.