par Bernard Davidou

Nos anciens, qui étaient plus nombreux que nous sur les causses calcaires de notre Quercy, utilisaient moins d’eau. Dans chaque vieille maison ils nous ont laissé au moins une citerne où elle était précieusement collectée pendant les saisons pluvieuses en prévision de l’été.

Ils n’imaginaient pas qu’un jour leurs descendants connaîtraient ce réseau maillé de canalisations qui, de châteaux d’eau en villages ou écarts irrigue nos éviers et baignoires et même nos potagers. Aussi, quand ils le pouvaient, ils faisaient creuser un puits.

C’était un investissement important et, le Crédit Agricole et ses prêts bonifiés n’ayant pas encore été inventés, la décision se mûrissait calmement sur plusieurs années ou même générations. Lorsqu’elle avait été prise et que les années précédentes avaient permis d’économiser l’argent nécessaire, on faisait appel à un puisatier.

Quand nous étions petits, ma sœur et moi étions sujets à toutes les maladies habituelles des enfants. Rougeole, oreillons, varicelle etc, rien ne nous échappa et je m’en réjouis aujourd’hui car Maman, pour nous faire accepter notre sort, la visite du médecin et ses instruments de torture (un saint homme qui venait de Catus (1)), avait l’habitude de nous raconter une histoire.

Elle avait été élevée par sa grand-mère de qui elle disait les tenir. C’est ainsi qu’après un diagnostic confirmé elle me raconta celle qui suit.

En ces temps là, des hommes circulaient de maison en maison, des artisans avec leurs outils (rempailleurs de chaises, rétameurs, matelassiers, tisserands …) proposant leurs savoir-faire, des colporteurs leurs marchandises (fils, almanach, draps …), des brassiers cherchant de l’embauche.

C’est vraisemblablement ainsi que le maître de la grande maison dont les bâtiments longent la route à Bouydou a confié le creusement de son puits à un puisatier sourcier de passage. L’époque nous est inconnue. Le nom de l’ouvrier ainsi que celui du maître (2) aussi.

Le puisatier convint avec le maître qu’il serait seulement logé (dans la paille de la grange) et nourri pendant la durée des travaux. Le paiement de la somme décidée ne se ferait que lorsque le puits serait plein. Le chantier débuta en début de période sèche et, jour après jour, dimanche excepté, on entendait l’homme taper en chantant au fond du trou qu’il creusait au bout de la cour, à côté du chemin du mas delleu, là où la fourche de coudrier lui avait indiqué l’eau souterraine.

Centimètre après centimètre, il arrachait au bout de sa pioche, les couches géologiques déposées, cassées, plissées au cours des millions d’années qui ont fait l’histoire géologique de notre coin de Quercy. A vrai dire, ses préoccupations et ses pensées devait être très différentes et n’étaient pas si savantes. Levant les yeux vers l’orifice, il guettait la venue de la servante qui, (à l’aide de la corde et la poulie qui permettait à l’apprenti qu’il formait de remonter les « ferrats (3) » de gravats) lui faisait parvenir la bouteille de piquette dont il se désaltérait.

Jour après jour, l’été avançait et se faisait de plus en plus chaud. A la fin de sa longue journée passée dans la poussière et la chaleur qui rendaient la respiration difficile, l’homme mesurait sa progression. Il scrutait avec une angoisse grandissante la roche sèche sous ses pieds, essayant d’y déceler les signes précurseurs du filet d’eau qui lui permettrait d’obtenir son dû et assurerait son hiver.

Il creusa jusqu’à vingt mètres sans trouver d’eau. Découragé, doutant de son fluide(4), il abandonna et partit un soir. Après la longue sécheresse de l’été, un violent orage déferla sur le causse au cours de l’une des nuits qui suivirent son départ. Les eaux recueillies par la cuvette naturelle du plateau de Bouydou gonflèrent la nappe souterraine que le sourcier avait repérée et à côté de laquelle il avait creusé.

Sous sa pression, l’eau envahit le puits. Heureux d’avoir enfin l’eau dans sa basse cour, le maître qui était honnête, fit rechercher le sourcier dans les fêtes et foires des environs mais ne le retrouva pas.

Voilà l’histoire d’un puits creusé par un homme qui n’eut pas son salaire. Depuis il a désaltéré des générations d’hommes et d’animaux sans jamais tarir. Pendant la dernière guerre, ou peu avant, un avion militaire s’est écrasé sur le plateau, Le carburant qui s’en est échappé a pollué la nappe et l’utilisation du puits a du être interrompue quelques semaines.

C’est à ma connaissance la seule fois ou il a failli, bien malgré lui, à sa vocation. Certains prétendent qu’il a recueilli les cloches de Calamane lorsque la république voulait en récupérer le bronze (5).

Lorsque j’en parlais à mon ami Daniel, il me raconta qu’il ne savait rien à ce sujet. Par contre, un jour un de ses prédécesseurs propriétaire (6) de la ferme, avait décidé de le curer. Ayant fini de le vider vers midi, il partit faire chabrot. Lorsqu’il revint pour le nettoyer, après la sieste, le puits était à nouveau plein.

(1) Dr FABRE originaire de Labastide Murat.

(2) Maison de Daniel COMBARIEU en 1981, RESSEJAC / COMBARIEU en 2003.

(3) Un « ferrat » est un seau. Fait en planches jointive comme un tonneau et cerclé de fer.

(4) Avoir du fluide est un don qui permet de trouver l’eau ou des objets cachés.

(5) En 1794. C’est certainement faux mais la légende attribue une cloche à chaque puits.

(6) Famille LACOMBE ?

Bernard DAVIDOU

octobre 1981